La figure de proue

proue-004La figure de proue allongée à l’étrave,
Vers les quatre infinis, le visage en avant
S’élance; et, magnifique, enorgueilli de vent,
Le bateau tout entier la suit comme un esclave.

Ses yeux ont la couleur du large doux-amer,
Mille relents salins ont gonflé ses narines,
Sa poitrine a humé mille brises marines,
Et sa bouche entr’ouverte a bu toute la mer.

proue-021Lors de son premier choc contre la vague ronde,
Quand, neuve, elle quitta le premier de ses ports,
Elle mit, pour voler, toutes voiles dehors,
Et ses jeunes marins criaient: « Au Nord du monde ! ».

…. Et toujours, face au large où neigent les mouettes,
Dans la sécurité comme dans le péril,
Seule, elle mènera son vaisseau vers l’exil
Où s’en vont à jamais les désirs des poètes;

proue-011… Et quand, ayant blessé les flots de son sillage,
Le chef coiffé de goëmons, sauvagement,
Elle s’en reviendra comme vers un aimant
A son port, le col ceint des perles du voyage,

Parmis toutes les mers qui baignaient les pays,
Le mirage profond de sa face effarée
Aura divinement repeuplé la marée
D’une ultime sirène aux regards inouïs.

proue-001… J’ai voulu le destin des figures de proue
Qui tôt quittent le port et qui reviennent tard,
Je suis jalouse du retour et du départ
Et des coraux mouillés dont leur gorge se noue,

J’affronterai les mornes gris, les brûlants bleus
De la mer figurée et de la mer réelle,
Puisque, du fond du risque, on s’en revient plus belle,
Rapportant un visage ardent et fabuleux,

proue-014Je serai celle-là, de son vaisseau suivie,
Qui lève haut un front des houles baptisé,
Et dont le coeur, jusqu’à la mort inapaisé,
Traverse bravement le voyage et la vie.

 

Lucie  Delarue-Mardrus

La figure de proue, 1908, source www.siratus.com

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